Comme à chaque fois qu’elle disposait d’un peu de temps après les cours, tandis que le jour déclinait, Erika se rendit à la librairie de Great Falls, dans laquelle elle travaillait à temps partiel pour gagner un peu d’argent. Habitude bien ancrée chez la famille Carter. Elle avait malgré tout fait un saut chez elle pour enfiler une tenue plus décontractée, bien loin des vêtements sophistiqués qu’elle tâchait de porter pour soigner sa réputation d’élève de terminale. Le temps s’était légèrement rafraîchi, en cette fin du mois de septembre et l’été s’éloignait doucement pour laisser place à l’automne. L’adolescente adorait cette période l’année où il ne faisait pas encore très froid, mais où les températures n’atteignaient pas celles des mois précédents. Le paysage digne d’une carte postale, les arbres nus, les feuilles tombantes qui gisaient sur le sol. Elle inspira profondément l’air qui s’offrait à elle. Oui, décidément, elle adorait cet endroit.

Sans une once d’hésitation, la jeune fille poussa la porte menant à l’antre chaleureux portant le nom de « Librairie McKay » et s’engouffra à l’intérieur de ce lieu prestigieux qu’elle adorait plus que tout autre. Ici, elle se sentait tellement à l’aise. Elle avait réellement l’impression d’être dans son élément, et travailler ici était une véritable bénédiction pour cette amoureuse des livres, cette amoureuse des mots qui ne se détachait jamais de son précieux calepin regorgeant de citations, de courts poème ou d’idées jetées en vrac sur le papier pour une potentielle histoire qui émergerait de son cerveau en constante ébullition. D’un large sourire, elle salua poliment la propriétaire des lieux, Sydney, puis se dirigea instinctivement vers l’arrière-boutique pour poser ses affaires. Comme elle sortait de cours, elle avait quelques devoirs à faire et s’y mettrait probablement rapidement, puisqu’il n’y avait pas de clients à guider et à conseiller. Après avoir bavardé l’espace de quelques instants avec Sydney, Erika s’installa dans un coin de la librairie, entre deux piles de vieux livres d’occasion, et se plongea dans la rédaction d’une pièce de théâtre qu’elle rédigeait depuis quelques jours.

N’est-ce pas là le terrible discours, d’une voix teintée d’amertume. Qui dans cette vie, nuit et jour, erre dans une meurtrière solitude… Elle mordilla son stylo. Jugea la phrase satisfaisante. Passa à la suite. Heureusement, aujourd’hui était un jour calme. Elle n’aurait probablement pas beaucoup de travail. Le carillon de la porte d’entrée résonna, signe que quelqu’un pénétrait dans la librairie, et l’adolescente leva machinalement les yeux. Son poste d’observation ne lui permettait pas de garder un œil sur l’entrée, et elle dû tendre le cou telle une autruche pour apercevoir le nouveau client. Une jeune femme se tenait dans l’encadrement de la porte, visiblement indécise, mais Erika ne parvint à apercevoir son visage, si ce n’est la blondeur de ses cheveux. Erika hésita. Devait-elle aller la voir pour lui demander si elle désirait un conseil ? Elle mordilla son stylo puis, tandis que la jeune femme refermait soigneusement la porte, Erika rangea son carnet, sauta sur ses pieds et s’avança, un sourire avenant aux lèvres, prête à faire son job à fond. Au fond, peut-être que l’inconnue était nouvelle ici et qu’elle ne savait pas trop par où commencer.

« Bonjour ! s’exclama-t-elle avec un enthousiasme sincère. Je peux peut-être vous aider ? Vous cherchez un livre en particulier ? »

Contrairement à ce que beaucoup de personnes pourraient penser, Lexie n’est pas une blonde sans cervelle. Bien souvent, lorsqu’on apprend qu’elle est strip-teaseuse et que, par-dessus tout, elle aime ce qu’elle fait, on fait l’amalgame, pensant que puisqu’elle joue de son corps, elle ne peut pas être un minimum intelligente et cultivée. Eh bien, ces gens se trompent. Elle est certes très libérée, mais ce n’est pas pour ça qu’elle ne s’intéresse pas aux informations et qu’elle ne lit jamais. Après, il est certain qu’elle ne lit pas du Proust, mais elle aime la littérature romantique, dramatique, les thrillers… Ce qu’elle n’aime pas, par contre, c’est le fantastique et l’heroic-fantasy. Comment peut-on s’intéresser à un truc pareil ? Lex ne le comprend pas. Mais honnêtement, tant qu'elle n’a pas à ouvrir un de ces livres pour adolescents boutonneux, elle s’en contrefiche.

Cet après-midi, la jeune femme a décidé de se rendre, pour la première fois, à la librairie McKay. Jusqu’à maintenant, elle lisait les livres qu’elle avait achetés à New York, mais aujourd’hui, elle est à cours de lecture. Du coup, c’est vêtue d’un jean moulant, d’escarpins à talons et d’un top assez décolleté qu’elle se rend dans la seule librairie de Great Falls. Lorsqu’elle passe le pas de la porte, Lexie retire ses lunettes de soleil et lance un regard circulaire pour avoir une vue d’ensemble des lieux. Aussitôt, et parce que c’est devenu une habitude depuis qu’elle est arrivée, elle compare la boutique à celles qu’elle a l’habitude de fréquenter à New York. Elle est plus petite, comme tout ici d’ailleurs, mais elle espère qu’elle trouvera son bonheur. Après avoir refermée la porte d’entrée, la jeune femme fait un pas vers le premier rayon. Elle n’a cependant pas le temps de lire un seul titre de bouquin, car une jeune fille vient lui demander si elle a besoin d’aide. Comprenant ainsi que, malgré son âge, elle travaille ici, Lexie la salue avec assurance, comme toujours.

Bonjour. Non, pas de livre en particulier. Je viens de finir « Avant d’aller dormir » de SJ Watson, et je cherche un livre plus léger, du genre sentimental ou érotique.

La jeune strip-teaseuse ne sait pas s’ils ont ce type de livre par ici, mais c’est pourtant ce qu’elle a envie de lire en ce moment. Sans vraiment penser que sa demande puisse être un minimum choquante, Lex attend la réponse de son interlocutrice.

Erika écouta poliment la réponse de son interlocutrice, persuadée d’être comme d’habitude tombée sur une jeune femme désirant lire un livre romantique et légèrement fleur bleue, pour se sortir des ennuis du quotidien et rêver du prince charmant. Pourtant, elle aurait dû s’en douter, que l’inconnue qui venait d’arriver n’était pas ce genre d’éternelle romantique qui dévorait avec passion des bouquins narrant telle ou telle histoire narrant les aventures d’une princesse enfermée dans son château. L’inconnue la dominait d’au moins une tête avec ses talons hauts, et Erika ne put s’empêcher de jeter un rapide coup d’œil à sa tenue. Rien d’extraordinaire cela dit, pour quiconque de normalement constitué, mais l’adolescente la compara aussitôt à sa propre tenue, et se sentit soudain un peu stupide avec son vieux tee-shirt qu’elle mettait pour travailler, orné d’un chaton jouant avec une pelote de laine. Il faudrait qu’elle pense à s’habiller de façon plus chic aussi à la librairie, et pas seulement à l’école, cela lui éviterait de se sentir ridicule.

La blonde tiqua immédiatement sur le dernier mot. Sentimental passait encore, bien que ça ne soit certainement pas le genre de lecture d’Erika. Enfin, érotique, quand même… Légèrement gênée, elle jeta un coup d’œil vers le comptoir. Sydney était dans l’arrière-boutique et n’entendait probablement pas leur semblant de conversation. La stupeur passée, Erika adopta une posture plus professionnelle et annonça – d’une voix assez mal assurée, c’est vrai :

« Sentimental et… Oui…Oui, on doit en avoir quelques uns, mais… enfin, pas dans ce rayon. C’est… c’est là-bas.»

Le rayon enfant/adolescent ne correspondrait sans doute pas à ce que cherchait la nouvelle cliente. Erika l’entraîna ainsi un peu plus loin, dans un rayon à l’écart, et sous son œil attentif, plongea la tête la première à travers les livres. A vrai dire, elle n’y connaissait pas grand-chose dans ce domaine, la plupart du temps, elle gérait les demandes habituelles, laissant Sydney s’occuper des requêtes un peu plus excentriques. Alors, même si elle bossait ici, elle ne pourrait probablement pas l’aider. La laisse fouiller elle-même dans les rayons avant de l’interpeller aurait été une solution bien plus judicieuse, Erika le regrettait maintenant.
Avant même d’avoir pu en trouver un qui aurait pu satisfaire la jeune femme, Erika se tourna vers elle, une expression étonnée sur le visage.

« En fait, c’est assez rare qu’on vienne me voir pour une telle… enfin, une telle requête. Vous êtes nouvelle ici, ou bien… ? »

Elle se mettait souvent à bégayer lors de ses moments de gêne, ou laissait de gros blancs dans la conversation, parce qu’elle cherchait désespérément ses mots.
De plus, non pas qu’elle souhaitait particulièrement converser avec cette inconnue, mais elle appréciait de connaître le client, et comme ce visage lui était étranger, cela rajoutait une part de mystère. L’adolescente aurait aimé en savoir plus sur cette jeune femme qu’elle trouva vite fascinante, tant par le ton assuré de sa voix que par sa démarche. Tout le contraire d’Erika, en somme. Et c’était peut-être cela qui la dérangeait le plus, en fin de compte.

Lexie n’a jamais vraiment été attirée par le prince charmant, ou du moins, pas qu’elle s’en souvienne. Elle trouve toutes ces histoires de princesse bien niaises et écœurantes à souhait. Les femmes n’ont pas besoin d’un homme pour se sentir exister et pour s’en sortir. Et puis, l’amour véritable… Elle n’y croit pas trop. Pour elle, tout est une question d’envie et d’attirance, de moment présent. L’amour, c’est une excuse pour quiconque a besoin de quelqu’un sur qui tout reposer, histoire de ne pas avoir à tout faire soi-même. Bref, les histoires de princes et de princesses, elle les laisse aux autres. Elle, elle préfère des livres qu’elle estime plus réalistes, ou qui vous donne le frisson à chaque page tournée. Frisson de plaisir ou frisson d’horreur, qu’importe, tant qu’elle se sent portée par sa lecture.

En cette fin d’après-midi, c’est d’une histoire érotique qu’elle a envie. Elle vient de finir un roman assez lourd, sérieux et, sur la fin, plutôt angoissant. Du coup, aimant varier, elle demande à la jeune vendeuse un livre beaucoup plus léger. Elle prononce le mot « érotique » sans se poser de question. Il y a bien d’autres mots beaucoup plus évocateurs que ce dernier et qui pourrait, éventuellement, choquer. Mais, amusée, Lex voit que la jeune femme en face d’elle se met à bafouiller et à chercher de l’aide autour d’elle. Faut dire qu’elle est jeune. Du moins, c’est l’impression qu’a Lexie à la vue de sa tenue et de son jeune visage. Mais enfin, ça n’explique pas tout. Il n’y a vraiment qu’à Great Falls que les adolescentes sont gênées dès qu’on parle de sexe. A New York, elles ne parlent que de ça ! Sur le coup, la strip-teaseuse a très envie de rire. Le t-shirt ridicule qu’elle a sous les yeux et l’attitude toute gauche de cette jeune fille ne l’aident pas à garder une contenance correcte. Déjà souriante, elle ne peut donc pas s’empêcher de rire silencieusement lorsque, finalement, l’intéressée lui tourne le dos pour l’emmener vers un rayon plus approprié.

Cette dernière cherche un petit moment parmi les livres, et Lex l’observe avec curiosité. Il est clair qu’elle n’a absolument aucune idée d’où elle pourrait trouver ce genre de bouquin, mais Lexie la laisse chercher. Après tout c’est elle la professionnelle, non ? Oui, elle s’amuse de cette fille qui ne semble encore rien connaître des fabuleux plaisirs qui l’attendent. Finalement, la jeune libraire se détourne des livres et avoue, en quelques sortes, qu’elle n’a aucune idée de ce qu’elle cherche.

Je suis arrivée il y a deux mois. Je vivais à New York et, là-bas, c’est assez courant de lire ce type de livre…

Rajoute la strip-teaseuse avec un sourire malicieux. Décidément, elle s’amuse beaucoup. Mais au-delà de ça, elle trouve charmant qu’une jeune femme de son âge (même si elle ne le connait pas avec exactitude) n’ai encore aucune idée de tout ce que la vie sexuelle pourrait lui apporter. En d’autres termes, pour elle, le meilleur reste à venir ! Elle lui donnerait bien des cours, mais elle n’est pas sûre que la sensibilité de la jeune fille puisse être en accord avec ses pratiques et ses connaissances.

Erika commençait à se sentir très mal à l’aise dans cet espace si confiné, face à une situation qu’elle peinait à maîtriser. En fait, non, elle en perdait totalement le contrôle. Et pour cette adolescente qui adorait tout diriger, cela lui faisait drôle. Elle venait de tomber sur une jeune femme en tout point différente, qui se moquait peut-être même intérieurement d’elle. La blonde ne savait plus où se mettre et n’osait pas croiser le regard de son interlocutrice. Ainsi, pour se donner une certaine contenance, elle se reporta sur les rayons emplis de livres, tout en sachant pertinemment que de toute façon, elle ne serait d’aucune utilité à la cliente. Mais comment le lui dire sans s’attirer un regard entendu ou un sourire en coin ? Elle préférait éviter cette honte monumentale et fit mine de chercher activement un bouquin imaginaire.

Erika ne s’était jamais franchement préoccupée des garçons, ne désirant pas s’embarquer dans une relation stable Quelques garçons se sont déjà intéressés à elle toutefois, attirés par son visage encore juvénile et plutôt charmant. Mais elle les avait toujours repoussés, par peur peut-être, par timidité probablement. Parfois elle regrettait cette caractéristique-là de sa personnalité. Regrettait d’être totalement inexpérimentée dans le domaine et songeait qu’elle devrait probablement remédier à tout cela. Elle était encore mineure. Elle avait tout le temps pour explorer le « domaine », comme elle se plaisait à le nommer. Mais, aussi proche soit-elle de ses frères et de ses soeurs, elle se voyait mal aller les questionner sur le sujet et leur demander de l'aider à aborder le problème, en quelque sorte. A ses yeux, cela ne se faisait absolument pas. Sa fierté, assez imposante, n'y survivrait probablement pas.

« New-York ? » répéta Erika en réponse à la jeune femme. « Oh, je vois… »

Evidemment, l’adolescente ne voyait rien du tout. Elle ne connaissait pas tout New-York. La minuscule ville tranquille appelée Great Falls lui plaisait, tout comme la campagne. Erika nota le sourire malicieux de la cliente, qui prenait peut-être un malin plaisir à la faire rougir davantage. En effet, dans la Grosse Pomme, les adolescentes devaient être plus calées en la matière. La blonde baissa les yeux, consciente de passer pour une véritable incompétente. Retrouver du courage, vite.

« Qu’est-ce que vous êtes venue faire à Great Falls, puisque New-York paraissait si bien ? » cracha-t-elle avec un ton un brin trop sarcastique.

Plus que tout, elle n’appréciait pas qu’on puisse se moquer d’elle, surtout sur un sujet aussi sensible qui lui était totalement inconnu. Dans le fond, elle n’avait qu’à rester à New-York pour trouver autant de livres sur la question qui lui plaisait. Elle regretta aussitôt ses paroles qui étaient tout sauf professionnelles, prononcées sous le coup de la colère, parce qu'elle s'était sentie agressée. Toutefois, elle ne désira pas s'excuser - là encore, sa fierté l'en interdisait.

Lexie adore maîtriser la situation dans laquelle elle se trouve. Elle se sent puissante et capable de tout. Ça lui pose souvent des problèmes, mais deux choses l’une : elle n’y pense pas, et elle n’en a rien à faire. Si ça ne plait pas aux gens et bien tant pis. Elle ne changera pas pour faire plaisir aux autres. Aujourd’hui, elle se rend à la librairie pour acheter un livre érotique. Non consciente que cette demande puisse être étonnante, elle l’annonce sans détour à la jeune femme qui lui propose son aide. Mais cette dernière semble affreusement gênée, elle cherche de l’aide, mais il n’y a personne d’autre, et elle se met même à chercher dans les rayons sans même savoir ce qu’elle cherche. Lexie s’amuse de cette situation, car ça fait longtemps qu’elle n’a pas vu une adolescente gênée par le fait de parler de sexe. Après, c’est sûr qu’elle ne parle pas à des adolescentes tous les jours, mais elle sait pour sûr qu’à New York les jeunes filles ne parlent que de ça, ou presque.

La jeune libraire arrête finalement de chercher et pose une question personnelle à Lex’ qui y répond avec sincérité, mais non sans amusement. Son air malicieux ne semble pas plaire à la jeune fille qui l’attaque finalement en retour. Sur le coup, la stripteaseuse aurait pu lui dire que ça ne la regardait certainement pas et qu’elle ne comptait pas parler de sa vie privée avec une gamine insolente. Mais c’est une toute autre chose qui sort de sa bouche.

Ne vous vexez pas… Je n’ai pas voulu être méchante.

Il y a quelque chose chez cette fille qui l’attendrit et qui, finalement, lui plait. Le fait qu’elle semble innocente question sexe n’y est pas pour rien, mais il y a aussi la répartie dont elle fait preuve. Elle a un peu l’impression de se voir à son âge, ou peut-être plus tôt quand même, mais le fait est qu’elle apprécie cette fille. C’est pour ça qu’elle tente d’apaiser la tension, et qu’elle essaie de paraître moins amusée par la situation.

Ce n’est pas grave si vous n’en avez pas, je pourrais vous proposer ceux que j’ai lus pour agrémenter votre collection.

Rajoute-t-elle avec un sourire qui se veut sympatique. Lexie parle-t-elle de la collection de la librairie ou de la collection personnelle de son interlocutrice ? Un peu des deux… Ça ne la dérangerait pas d’aider cette jeune fille à s’ouvrir au monde.

Erika inspira profondément, cherchant mentalement à se ressaisir. La situation lui avait totalement échappé et elle ignorait comment s’y prendre pour en retrouver le contrôle. Franchement, si seulement elle avait su en venant travailler ce jour-là qu’elle aurait affaire à une telle cliente ! Elle se sentait gênée, non pas par le fait d’aborder un sujet ayant trait au sexe – ce qui lui arrivait parfois avec sa meilleure amie, Samantha, qui paraissait être très documentée en la matière – mais c’était principalement par le fait de l’aborder devant une parfaite inconnue, sans doute bien plus âgée qu’elle. Et elle espérait également que Sydney, qui tenait la librairie, n’entende pas un traître mot de cette discussion, ce qui la mettait davantage mal à l’aise.

Son interlocutrice éluda sa question – ou plutôt sa « semi-agression » lancée sous le coup de la colère. Elle n’avait probablement pas envie de déblatérer sur les raisons qui l’avaient poussée à fuir New-York. C’était naturellement compréhensible mais Erika s’en moquait éperdument.

« Oh ! Je ne suis pas vexée », rétorqua l’adolescente, l’air bougon.

Aha, la bonne blague. Bien sûr qu’elle était vexée. Si elle avait pu assommer la jeune femme avec le premier dictionnaire lui tombant sous la main, elle l’aurait probablement fait. Hélas, les règles de la bienséance l’en empêchait. Question de principe.

Sa collection ? Erika étouffa une exclamation. Qu’entendait-elle par là ? La blonde se moquait-elle encore d’elle ? L’adolescente l’ignorait. Les bouquins érotiques, ce n’était franchement pas son rayon. Elle se mordilla la lèvre, toujours aussi gênée par cette discussion qui n’en finissait pas. Elle ne savait pas comment réagir. Devait-elle accepter la proposition pour le moins saugrenue de la cliente ? Ou au contraire lui demander poliment, mais avec toute la fermeté du monde, de quitter cet endroit ?

La femme l’intriguait énormément. C’était la première fois à Great Falls qu’elle en rencontrait une pareille. Elle paraissait tellement… tellement libérée. Tout le contraire d’Erika, donc. Elle se demanda si l’inconnue se moquait d’elle ou pas. A dix-sept ans, de nombreuses questions se bousculaient dans l’esprit de l’adolescente et elle mit un certain temps avant de pouvoir formuler une réponse correcte.

« Ma collection ? » répéta-t-elle, incrédule. « Écoutez, je… j’ignore qui vous êtes, et vous ne me connaissez pas. Enfin, si jamais vous voulez vraiment trouver votre livre, je peux peut-être appeler ma supérieure… »

Elle préféra revenir sur le plan professionnel pour retrouver une certaine dose de contenance. Elle ignorait ce que désirait vraiment son interlocutrice. Si elle désirait seulement trouver un livre, trouver une proie facile à embêter un peu et à faire rougir de gêne, ou bien si elle voulait carrément aider cette même proie facile. Au choix.

« Et je ne pense pas avoir besoin de votre aide pour quoi que ce soit », conclut-elle un peu maladroitement, même si inconsciemment, elle était totalement perdue.

[J'ai préféré clôturer pour qu'on en ouvre un autre ;-) J'espère que ça ne te dérange pas ! On se met d'accord par MP. Bisou !]

La jeune demoiselle à qui Lexie a affaire semble avoir un caractère bien trempé. C’est ça, par-dessus tout le reste, qui la pousse à rester courtoise et polie. C’est assez paradoxal, mais la jeune strip-teaseuse aime bien qu’on lui résiste. Et là, c’est carrément le cas. La jeune libraire se sent agressée, alors qu’il n’en est rien, mais le fait de la voir s’agacer et râler (en quelques sortes) amuse Lexie au point de vouloir l’aider à voir plus loin. Elle aurait pu la rembarrer, aller chercher un livre à Milwaukee ou carrément le commander sur internet, mais elle veut « séduire » cette jeune fille, et lui faire admettre qu’elle pourrait aller un peu plus loin que ses t-shirts avec des chatons… Mais Lexie sait que ça ne sera pas facile. Plus jeune, elle était comme elle. Rebelle, incapable d’avouer ses faiblesses. Aujourd’hui, ça n’a pas beaucoup changé, mais elle a la maturité qui fait qu’elle arrive toujours à ses fins, car elle sait y faire (a).

Lorsque la jeune libraire dit qu’elle ne s’est pas vexée, Lex’ ne dit rien. Pourquoi la contredire ? C’est sûr qu’elle s’est vexée, ça se voit comme le nez au milieu de la figure, mais ce n’est pas la peine de la braquer. Elle préfère plutôt lui proposer son aide, en lui proposant d’amener ses propres livres, pour améliorer sa/leur collection. C’est un peu de la provocation, c’est sûr, mais ça n’en est pas moins sincère. Elle se voit bien aider cette jeune fille à s’ouvrir au monde. Mais cette dernière ne semble pas de cet avis. A nouveau, elle se renfrogne, et tente d’éluder la proposition. Avec un sourire, la stripteaseuse, pour se présenter (après tout, la jeune femme vient de lui dire qu’elle ne la connait pas), lui fait un sourire.

- Je m’appelle Lexie.
Mais ne dérangez pas votre supérieure, elle a l’air occupée, je reviendrai plus tard.

En effet, la libraire en chef est concentrée sur quelque chose, mais c’est surtout pour avoir l’occasion de revenir que Lexie dit à la jeune fille de ne pas la déranger. D’ailleurs, elle sourit en entendant la remarque de son interlocutrice. Elle n’a pas besoin d’aide. C’est ce qu’elle verra… (a)

- Mmh mmh.

Acquiesce-t-elle avant de, finalement, se diriger vers la sortie. Cette rencontre aura au moins eu le mérite d’amuser Lexie et de lui donner un nouvel objectif : prendre cette jeune fille sous son aile et lui montrer tout ce que la vie a à lui offrir.

- A bientôt !

Dit-elle avant de refermer la porte derrière elle. La prochaine fois qu’elle viendra, elle lui amènera un de ses livres érotiques.

Fin de la scène.