Même si Stan n’a vu Erika qu’une fois avant ce soir, il n’a pas de mal à deviner qu’elle a trop bu. Elle tient à peine debout déjà... C’est sans doute stupide, mais cela rend le mannequin un peu inquiet. Pourtant elle a l’air bien elle, et c’est ce qu’elle lui répond d’ailleurs. Ce qu’il craint en fait c’est la “descente” qui risque d’être difficile pour elle, et pas très agréable... Reste à espérer qu’elle ne sera pas seule à ce moment là, et puis qu’elle s’amuse aussi tant qu’elle en a envie. Après tout si elle s’est mise dans un tel état, c’est qu’elle ressentait le besoin de décompresser non ?

Tes amis ne sont pas là ?

L’interroge le brun quand la joie de la blondinette se transforme en un instant en peine, puisqu’elle est visiblement seule. Alors elle a bu comme ça, sans personne ? Il trouve ce comportement un peu étrange à vrai dire, mais peut être qu’il va bientôt en savoir plus ..? Elle s’accroche ensuite littéralement à lui, et lui redemande comment il va comme si elle ne l’avait pas fait il y a même pas une minute.

Ouais je crois aussi... Ne peut que confirmer Stan quand elle pense avoir un peu trop bu. Tu veux aller prendre l’air un peu ?

Propose-t-il alors gentiment sans même prendre la peine de rerépondre à sa question au préalable. Il n’a pas le coeur de la laisser seule dans cet état. Et puis, lui n’a rien de particulier à faire non plus de toute façon. Il comptait aller féliciter Candice, mais il pourra très bien le faire plus tard. Ils habitent dans la même maison maintenant, alors ils n’auront pas de mal à se voir..!

Erika mit un certain temps avant de réagir à la question de Stan. Des amis ? Elle avait des amis ? Son cerveau embrumé par l’alcool peinait à trouver une réponse. Samantha aurait dû venir. Sa meilleure amie rêvait de cette collecte de fonds depuis longtemps mais, hélas, avait décommandé sa venue au dernier instant. Quand à ses quelques camarades de classe, Erika les connaissait trop peu et n’était pas très à l’aise en leur compagnie. Elle préférait encore être seule. Logique certes étrange, mais l’adolescente n’était pas suffisamment lucide pour s’en rendre compte. Elle avait tant de travail ces derniers temps, enchaînait le lycée et son petit boulot à la librairie, sans oublier les heures de baby-sitting données de temps à autres, et les devoirs à la maison. Elle peinait à trouver du temps pour elle, pour souffler un peu. Alors, sans se soucier des conséquences, elle avait bu. Le lendemain, elle regretterait probablement…

« Non, ils sont pas là » répondit-elle en secouant frénétiquement la tête. « Ils sont jamais là d’toute façon… »

Elle ne parlait pas de la fête. Certes sociable, tout le monde l’adorait, mais il y avait peu de monde à part sa famille en qui elle avait une confiance absolue. Et, parfois, la solitude l’oppressait. C’était peut-être aussi pour cette raison qu’elle avait bu à n’en plus finir. Comme on dit, boire pour oublier…

L’adolescente tangua légèrement, incapable de rester immobile plus longtemps. Elle se retint au dernier moment au bras de Stan, et se serait probablement écroulée sans sa présence qui la rassurait, dans un sens. Au moins, pour la première fois depuis le début de la soirée, elle n’était plus seule. On s’intéressait à elle. Même si c’était presque un inconnu.

« Oui, j’veux bien. Il fait trop chaud ici. Et puis les gens sont pas marrants… »

Sa bouche devenait pâteuse. L’ivresse des débuts s’était estompée et, bien qu’elle était encore joyeuse et ne se rendait pas vraiment compte de ses mouvements, elle n’aurait jamais pu retourner danser ou même continuer la fête d’une façon ou d’une autre ! Sa vue se troubla, elle vit double l’espace d’un instant. Les gens ne s’amusaient pas suffisamment à ses yeux. Ce n’était pas drôle, elle aurait aimé voir d’autres habitants dans son état, pour pouvoir converser sur un quelconque sujet. Ou même parler dans un dialecte particulier. Une idée lui traversa l’esprit. Elle se surprit à penser qu’elle parlait la langue des indiens d’Amazonie. Cela lui fit plaisir sur le coup, mais elle cessa immédiatement d’y songer quelques secondes plus tard. Sa mémoire de poisson rouge lui faisait définitivement défaut.

Elle suivit donc tant bien que mal Stan vers l’extérieur, en contournant la piste de danse qui s’était considérablement vidée à cette heure. La plupart des invités, trop fatigués, ne s’aperçurent même pas de son état. Erika, elle, s’en fichait bien. Elle avait déjà quitté la terre. L'air frais de l'hiver qui s'approchait la frappa de plein fouet mais, loin de lui faire retrouver ses esprits, lui donna envie de courir au beau milieu de la route en riant à gorge déployée. Elle l'aurait probablement fait si Stan ne la tenait pas fermement pour l'empêcher de trébucher sur un caillou imaginaire.

« On fait la course jusqu'au lampadaire là-bas ? » demanda-t-elle d'une voix fluette, sans se rendre compte que sa demande était totalement incongrue et absolument irréalisable dans son état actuel.