« Je sors avec des amis ce soir alors… Amusez-vous bien ! A plus ! »

La bonne excuse. Hunter adresse un gigantesque sourire à ses amis. La représentation vient tout juste de se terminer. Hunter s’est déjà changée, ayant troqué son body blanc contre un simple pull rouge et noir, un jean un peu éliminé et des tennis, et s’est démaquillée. Les derniers à passer sortent à peine de la scène et c’est le doyen, déguisé en Monsieur Loyal, qui lui fait un petit signe de tête avant de retourner sur la scène pour remercier les spectateurs. Ravie, Hunter détale à toutes jambes. Elle sait bien qu’il n’est pas dupe, qu’elle n’a pas vraiment d’amis à Great Falls. Il l’a surprise un jour au piano-bar de la ville mais ne lui a jamais rien dit. Elle l’a vu l’observer puis partir sans un mot. Les autres n’ont jamais été au courant. C’est comme un secret. Il y a juste un soir dans la semaine où il la laisse s’amuser. Sinon, elle n’a pas le droit. Il ne faudrait pas qu’elle jette sa vie par la fenêtre. Le doyen est un peu comme son père alors elle n’a jamais contesté son autorité. Mais c’est un piano-bar, la musique est bonne et l’alcool modérée. Alors juste pour ce soir, il la laisse faire.

Après avoir dépassé le premier coin de rue, elle ralentit et se remet à marcher. Comme d’habitude, elle emprunte le chemin habituel. Elle n’arrive jamais en prenant la route principale. C’est plus rapide, en partant du cirque, de tracer droit sur le bar. Ainsi, elle arrive toujours par l’arrière et n’a plus qu’à faire le tour du petit établissement pour y entrer. Ce soir encore, c’est la même chose. Elle arrive un peu à l’avance. Juste une petite demi-heure avant le début des performances. Elle ne sait même pas qui doit passer sur scène et de toute façon, ça lui est bien égal puisqu’elle ne connait presque personne. Les mains dans les poches, elle marche nonchalamment. Les autres du cirque lui répètent tout le temps de ne pas passer dans les ruelles désertes mais elle les a toujours ignorés. Ils se prennent tous pour des parents avec elle alors qu’elle ne leur demande rien. Alors qu’elle va pour tourner à l’angle d’une rue et arriver à l’arrière du pub, elle s’arrête net. Un son de cordes arrive jusqu’à ses oreilles. De la guitare sèche sans aucun doute. Intriguée, elle reprend sa marche et tourne. Un garçon est assis sur une vieille chaise, juste à côté de la porte de livraisons, et accorde sa guitare en jouant une mélodie simple.

Inconsciemment, elle s’approche de lui. Elle est un peu maladroite, oscille quand elle marche et frotte ses bras de ses mains. Ses yeux sont fixés sur les mains du garçon. Elle ne sait pas à quoi il ressemble. Juste ses mains et la guitare. Elle s’arrête à cinq ou six mètres de lui et reste plantée là, incapable de détacher son regard. [/list]

Depuis toute petite, Hunter a toujours voulu apprendre la guitare. Peut-être croyait-elle pouvoir devenir le stéréotype de la guitariste sensuelle et désirable. C’était raté. Elle n’a jamais pu apprendre avant son départ de chez elle il y a un an. Et même là, elle n’avait pas eu le courage d’apprendre seule. C’était trop long, trop compliqué, trop dur. A l’exception de la danse, elle n’a jamais eu beaucoup de volonté à apprendre de nouvelles choses seules. Il faut toujours la forcer, la pousser et surtout la suivre constamment pour vérifier qu’elle n’abandonne pas en cours de route. Pourtant, dans la caravane qu’elle partage avec les voltigeuses, elle a une guitare acoustique qu’elle a pu s’acheter un jour. Elle y a laissé toute sa paye mais en l’ayant entre les mains, elle était heureuse. Parfois, elle s’amuse à en gratter les cordes mais n’a jamais trouvé la foi et le temps d’apprendre à vraiment en jouer.

Voir ce garçon, sans doute à peine plus âgé qu’elle, en jouer si bien, l’envie revient. Mais elle sait que seule, elle ne le fera pas. Elle met un petit moment à se rendre compte que la mélodie a cessé, qu’il la dévisage à présent de la tête au pied, sans aucune gêne, comme si elle n’était qu’une vulgaire poupée dans une vitrine. Si leurs regards se croisent, elle ne s’en rend pas compte jusqu’à ce qu’il prenne la parole. Sa voix grave et rocailleuse la tire de ses songes.

« Hey. Le show c’est tout à l’heure, et à l’intérieur… »

Hunter lève les yeux sur son visage et cligne des paupières. Retour au présent. C’est de son habituelle voix métallique qu’elle répond, faisant même un pas en arrière :

« Ouais, je… je sais. Mais j’sais pas si je vais y aller finalement. Je connais personne après tout. »

Callant ses longs cheveux derrière ses oreilles d’une main un peu nerveuse, elle commence à bouger, comme si elle allait partir. En fait, c’est bien ce qu’elle compte faire. Tout ce qu’elle voulait, c’était juste l’écouter jouer mais apparemment, il en a décidé autrement. Quoi qu’il vient bien de parler du show. Alors est-ce que ça veut dire qu’il participe ? Si c’est le cas, il devrait avoir l’habitude de jouer devant un public. Mais pourquoi ne va-t-elle pas le voir, tout simplement ? Ce serait trop facile en fait. Qu’est-ce que ça peut bien lui faire qu’elle soit là ou pas ? Il aurait sûrement du public malgré tout, alors sa présence n’est pas indispensable. Serrant ses bras contre elle, elle fait deux pas sur le côté et s’avance légèrement pour partir. Elle ressemble à un petit animal sauvage trop terrifié pour pouvoir fuir. Finalement, elle se ressaisit et arrête de bouger. Elle ne change pas de position mais lève les yeux vers lui.

« Vous… vous allez jouer, ce soir ? »