Far from home

❝ Another day in this carnival of souls Another night settles in as quickly as it goes The memories of shadows, ink on the page And I can't seem to find my way home… And it's almost like Your heaven's trying everything Your heaven's trying everything To keep me out…❞

Mon séjour à l’hôpital commençait à s’éterniser… Et de plus en plus à mesure que je reprenais mes forces et que les murs de cette chambre ressemblaient à ceux d’une prison. Je ne pensais plus qu’a une seule chose : rentrer à la maison pour passer à autre chose.

Même si j’avais eu bien conscience d’être passé très près de la mort, l’overdose qui m’avait cloué au lit plus de quinze jours ressemblait maintenant à un simple cauchemar oublié au petit matin. La fracture du nez ne me faisait plus souffrir et seules mes côtes brisées par le massage cardiaque réveillaient encore quelques douleurs dans ma poitrine, me rappelant à l’ordre et aux souvenirs de cette nuit où des touristes m’avaient vu m’effondrer tête la première vers le sol avant d’appeler les urgences. Ils m’avaient sauvé la vie. Deux minutes de plus et je n’aurais plus été de ce monde.

Le plus difficile était derrière moi, avec les crises de manque calmées par la méthadone, mais le chemin à parcourir serait encore long… D’autant plus que le médicament ne calmait pas tout à fait mes envies de reprendre un shoot d’héroïne pour me détendre. Et même si tous mon entourage m’avait fait la morale, soutenu, et rassuré, je n’arrivais pas à m’ôter cette envie de la tête. Contrairement à ce que je pensais encore quelques semaines plus tôt, je ne gérais pas ma vie… La dope le faisait pour moi. Et elle continuerait à la faire si je ne trouvais pas la force de résister.

Le personnel de l’hôpital savait que j’étais loin d’être tiré d’affaire, les infirmières ne pouvaient pas faire plus pour moi maintenant que mes blessures physiques étaient refermées. Alors je commençais à rassembler mes affaires pour rentrer à la maison. A moins que les médecins aient trouvé une excuse pour m’obliger à rester quelques jours de plus et espérer me convaincre de partir en cure de désintoxication… Ce que je refusais fermement. Je n’avais pas besoin d’être enfermé pour me soigner.

J’allais boucler mon sac et signer une décharge de sortie quand j’entendis frapper à la porte.

- Entrer !

Étrange comme un accident de parcours pouvait remettre les idées en place. Alors que j’avais toujours cherché à fuir Great Falls pour vivre seul sur Milwaukee, je me retrouvais vraiment à coté de mes pompes après ces quelques jours d’hospitalisation et ne rêvais plus que d’une seule chose : retrouver mon frère et ma sœur à la maison. Ma famille. Mon cocon. Et même si leurs reproches m’atteignaient en plein cœur, je savais qu’ils agissaient de cette manière pour mon bien. Avec eux j’allais remonter la pente ! Pas en désintox comme le pensais les médecins…

J’allais boucler mon sac quand j’entendis pourtant frapper à la porte. Sans prendre la peine de me retourner, je lançais un simple « Entrer » en continuant à me battre avec la fermeture éclair qui restait coincée à mis parcours… J’espérais voir le visage de ma voisine, Rachel, mais ce fut celui d’une autre jeune femme qui m’apparut dans l’encadrement. Aucune idée de qui ça pouvait être.

"Bonjour monsieur Matthews. Je me présente Roxanne Bourgeois je suis assistante sociale."

Comme elle s’avançait vers moi en tendant la main, mon mauvais caractère refis surface juste à cause de ses derniers mots… Assistante sociale ! Je sentais que le piège se refermait sur moi et j’aurais pu jurer voir les yeux des infirmières se poser sur moi avec des petits sourires de satisfaction.

- Vous perdez votre temps en venant ici, j'ai rien à vous dire.

Bon en fait c’était sans doute elle qui avait des choses à me faire entendre, mais dans tous les cas je ne voulais pas de ses conseils. D’autant plus qu’elle n’était pas plus vieille que moi. Que savait-elle de la vie ?

- Je veux qu’on me laisse reprendre ma vie là où je l’ai laissée en arrivant ici. C’est trop demander ?

Les médecins, comme les infirmières et le reste du personnel soignant qui s’était intéressé à mon cas, désapprouvaient totalement ma sortie de l’hôpital sans je sois décidé à me faire prendre en charge par un psychologue ou, encore mieux, un addictologue spécialisé dans la drogue… Mais je n’avais vraiment rien à foutre de leurs avis sur la question ! Ok, ces mecs m’avaient ramenés des bras de la mort en me réanimant, mais maintenant plus rien ne me retenait ici. A part l’apparition douteuse de cette soit disant assistante sociale.

Déjà énervé rien qu’en imaginant tout le retard que j’allais prendre sur mon programme en écoutant le blabla de cette fille, je ne pris même pas la peine de répondre à sa poignée de main. Sans parler de ma totale impolitesse. A la place, je l’envoyais plutôt balader sur un ton dur, presque menaçant.

Vous savez tout comme moi que vous avez besoin d'aide et de soutien.

- Bien sur ! Vous savez ce qu’il y a de mieux pour moi alors que vous ne me connaissez qu’a travers vos papiers et ce qu’on vous a raconté le Doc. Mais vous ne connaissez rien de ma vie au final !

Délaissant mon sac sur le lit, je serrais les poings pour canaliser ma colère en malaxant une balle anti stress et éviter de fracasser un mur ou une porte… Le manque me rendait violent, j’en avais conscience, mais il suffisait de ne pas mettre mes nerfs à l’épreuve pour que j’arrive à garder mon calme. Ce qui n’était pas franchement le cas à cet instant.

- C’est pas en m’enfermant comme un criminel que ça va m’aider à changer les choses.

A part ma famille proche et quelques amis, personne ne savait d’où je venais et quelles épreuves j’avais dû affronter avant de choisir la drogue comme soutien psychologique à ma douleur. Ma sœur vivait avec les mêmes souvenirs traumatisants, mais elle devait avoir un caractère plus féroce que le mien pour réussir à garder la tête froide… ou alors c’était une qualité toute féminine et là j’étais donc incapable de m’aligner. Que pouvait donc bien savoir cette assistante sociale sur les raisons qui m’avaient conduit ici, à part ce qui était bêtement consigné dans ses papiers?! Pas grand-chose. Et autant dire que ma vie ne se résumait pas à trois misérables lignes d’une feuille A4.

"C’est vrai je ne connais rien de votre vie, les épreuves que vous avez traversées, mais je ne demande qu’à les comprendre."

Quoi?! Elle s’attendait vraiment à ce que je lui parle de mon histoire personnelle sans broncher? C’était mal me connaitre. Même complètement stone je ne devenais jamais assez bavard pour parler de mes parents, de notre fuite à Great Falls, des problèmes de Joey et de la prison… Alors en étant lucide, il ne fallait surement pas y compter.

- Ba c’est pas aujourd’hui que vous pourrez rajouter des éléments à vos papelards. J’ai pas l’intention de vous parler de ma ptite histoire de famille.

Et encore moins de me laisser enfermer dans une chambre d’un centre de désintox si c’est ce qu’elle cherchait vraiment à obtenir en me baratinant. Je me sentais au mieux de ma forme et prêt à reprendre le fil de ma vie, là où je l’avais laissé avant de m’écrouler lamentablement sur le trottoir. Sur que ça me servirai de leçon : je me doperais plus jamais seul. C’était déjà une bonne résolution, non ? Mais je n’allais surement pas en parler avec la blondinette qui continuait à me donner des explications… un peu dans le vide d’ailleurs puisque je n’écoutais que d’une oreille distante.

".Je ne le vois pas du tout sous cet angle.Ce ne sont pas mes méthodes de travail. "

- Ha ouai ? Et c’est quoi votre style à vous ?

Visiblement elle venait de trouver un moyen de me calmer un peu en ne parlant pas d’une conduite à tenir qui tombait à l’évidence. De toute façon elle ne me laisserait jamais partir avant d’avoir terminé son petit spitch… alors autant la laisser finir tranquillement.

Les médecins pensaient vraiment pouvoir me faire changer d’avis sur mes choix d’avenir juste avec l’intervention de cette assistante sociale ? C’était bien mal me connaitre. S’ils avaient espéré que la blondinette réussirait à m’envoyer en cure à l’aide de quelques sourires et de mots bien choisis, c’était lamentablement loupé. Le seul guide que j’allais suivre, il se trouvait dans ma petite tête et s’appelait « ma conscience ». Cette intervention resterait donc stérile et je ne faisais que perdre mon temps ici… mais la blondinette ne me laisserait jamais partir sans avoir essayé tous les arguments pour me retenir.

J’écoutais donc son blabla sans vraiment m’y intéresser, balançant une réplique cinglante quand l’envie m’en prenait et écrasant ma balle antistress dans mes doigts lorsque je sentais que la colère prenait le dessus sur le calme que je devais me forcer à maintenir si je voulais quitter l’hôpital, et pas me retrouver sangler au lit comme pendant les crises de manque… Je n’en étais néanmoins pas à ce stade aujourd’hui.

- Nous devrons nous voir une fois toutes les semaines pour commencer et si tout va pour le mieux les rendez-vous s’espaceront jusqu’à ne plus en avoir du tout. Lors de ces rendez-vous nous feront le bilan de ce qui va et ne va pas.

Alors au lieu d’un emprisonnement chimique, elle me proposait une cellule psychologique… Pffff quelle superbe idée ! Je ne m’imaginais absolument pas enfermé dans une chambre de cure de désintox, mais encore moins sur un bureau pour parler de mes problèmes. Non, vraiment, personne ne pourrait m’aider de cette manière.

- Soit vous acceptez ma méthode, soit les médecins se feront une joie de vous interner dans je ne sais quel établissement qui soit dit en passant de vous à moi ne sert à rien…

Elle semblait bien sur d’elle ! Mais de toute façon la question ne se posait pas puisque j’allais rentrer chez moi, point barre ! Pas de centre de désintox, pas de blablatage sur ma vie, mon passé ou mes problèmes actuels. Rien de tout ça ! Juste ma chambre, ma famille et mon chien.

- Personne ne m’imposera quoi que ce soit ! Que ce soit les médecins et leur idée débile de m’enfermer en cure, ou vous et votre méthode de bilan.

J’en avais suffisamment entendu de toute façon.

- J’me casse !

Et mêlant je geste à la parole, j’attrapais mon sac et pris la direction de la sortie.