Journée de repos pour Lysander. Une fois n'est pas coutume, elle n'avait pas cours aujourd'hui, et restait donc sagement chez elle à prendre soin de son petit papa préféré -comme si la concurrence était rude... Pas spécialement amatrice des grasses matinées, l'étudiante s'était levée relativement tôt et avait profité de la fraîcheur et de la tranquillité matinale pour effectuer son petit footing traditionnel, avant de rentrer chez elle, non sans être passée par la case boulangerie au préalable. Rien ne mettait son père d'aussi bonne humeur que des croissants tout juste sortis du four de bon matin. Grâce à cette offrande mineure, elle savait qu'il la laisserait un peu plus en paix pour le reste de la journée.

Profitant de la distraction occasionnée par le petit déjeuner surprise, Lys s'était ensuite éclipsée de la maison afin de s'offrir une petite promenade improvisée dans Great Falls. C'est plus fort qu'elle, elle adore littéralement cette ville. Oh, elle a bien conscience que c'est un trou paumé où jamais rien ne se passe et les ragots se diffusent à la vitesse de la lumière, mais la vérité c'est qu'elle s'en contrefiche. Elle est bien ici. C'est son foyer. Elle connaît tous ces gens, et les apprécie, tous autant qu'ils sont. Ou presque.

En passant devant le Coffee Time qu'elle avait l'habitude de fréquenter, son regard s'arrête un instant sur l'ardoise affichant le plat du jour. Crêpes bretonnes et coquilles Saint-Jacques. Ok, elle devait bien admettre que rien que l'évocation de ces deux plats la faisait saliver d'avance. Mais il n'y avait pas que cela. Elle avait déjà goûté aux coquilles Saint-Jacques du Coffee Time et les avait trouvé succulentes, bien plus que celles qu'elle préparait parfois. À la fois intriguée et fascinée, elle s'était promise d'interroger le chef ou la chef à ce sujet un de ces quatre. Sans jamais réussir à trouver le courage pour le faire. Mais là, en apercevant la jeune fille à laquelle elle avait eu plusieurs fois affaire en venant ici, elle se dit que c'est le moment où jamais. Et même si Parker la perturbe un peu, avec toutes les rumeurs qui circulent à son sujet, elle la trouve tout de même moins intimidante que son frère Chris.

Prenant son courage à deux mains, et le tenant fermement par la peau du cou pour qu'il ne s'enfuit pas, Lysander prend une grande inspiration et monte sur la petite terrasse où se trouve Parker et s'approche d'elle d'un pas décidé.

« Bonjour ! Excusez-moi, je ne vous dérange pas j'espère ? » s'enquit-elle, un sourire timide et poli au visage, sans pouvoir s'empêcher de regarder de travers la cigarette que son interlocutrice tenait à la main.

Alors que Lysander s'appliquait à mettre de l'ordre dans ses pensées et à structurer sa réponse de manière à commencer par quelques compliments sincères au sujet de la cuisine du Coffee Time avant d'en venir à formuler sa requête à proprement parler, elle se voit contrainte d'abandonner ce beau projet très rapidement, et très soudainement, surtout. À peine avait-elle eu le temps d'ouvrir la bouche et de lever légèrement les mains (elle avait la fâcheuse manie de les utiliser à outrance pour s'exprimer) qu'une brutale averse vient lui clore le bec de manière on-ne-peut-plus-impolie. Enfin, charmante comme elle est, Lys ne lui en tiendrait pas rigueur, mais tout de même, elle aurait pu prévenir, ça ne coûte rien d'envoyer quelques petits gouttes annonciatrices avant de lâcher la sauce.

En plein désarroi, l'étudiante serait probablement restée là si sa congénère n'avait pas eu le bon sens de l'emmener à l'intérieur ; une fois à l'abri de la pluie, Lys reprend possession de ses esprits et se triture nerveusement les mains après que Parker eut lâché celle qu'elle avait utilisé pour la traîner dans le café. Inutile de préciser que le contact avait légèrement perturbée Lysander, qui avait déjà rougi, bégayé ou trembloté comme une malade de Parkinson pour bien moins que cela.

La remarque de la jeune Warner déride légèrement les lèvres de Lys en un sourire mi-contrit mi-amusé ; hésitante, elle baisse les yeux et cherche ses mots avant de finalement se raviser et rester muette. Ça la perturbe qu'on parle du ciel ! À chaque fois, elle se sent concernée ou visée, comme si elle devait justifier des choix pseudo-divins ou ce genre de chose, et elle était capable de vraiment se prendre la tête à ce sujet, c'était assez phénoménal. Elle ne se sent pas non plus à l'aise avec ce sujet de conversation un peu tabou qu'est la cigarette. Bien sûr, elle est mille fois contre, et sûre de ses principes à ce niveau là, mais contrairement à son père, les sermons, c'est pas trop son truc à elle. (a) Elle déteste se sentir dans cette position où on dit aux gens ce qu'ils sont supposés faire et ce qui est mieux pour eux. Parker, fume, libre à elle ! Quand cette dernière lui demande si elle désire quelque chose, Lys a à peine le temps de réagir qu'elle a déjà tourné le dos, et son « Euh oui, je, j'aurais voulu... » finit par mourir sur ses lèvres sans personne en face pour l'écouter agoniser.

La jeune Warner finit par revenir, une serviette à la main, ce qui surprend grandement Lysander, qui reste encore plus interdite quand la jeune femme la lui tend. Mécaniquement, elle s'en empare, et se permet une ou deux seconde d'étonnement avant de réagir.

« Oh, c'est... C'est une attention adorable, merci beaucoup, vraiment. » murmure-t-elle, en commençant à s'essuyer maladroitement.

Du coup, elle en a complètement oublié la recette des coquilles Saint-Jacques, si c'est pas malheureux !

Avec autant de suite dans les idées qu'un chiot à peine sevré, Lysander saute sur l'occasion tendue par Parker, et l'idée d'un chocolat chaud chasse immédiatement toute autre pensée qui avait pu prendre place dans sa cervelle. S'il y avait bien quelque chose dont elle raffolait, c'est se pelotonner bien au chaud, avec si possible une bonne couette bien douillette et une tasse de chocolat fait maison à la main, quand il pleut des trombes d'eau à l'extérieur. Bon, bien sûr, en l’occurrence elle n'allait pas réclamer de couverture, hein.

« Oh, ce... Ce serait parfait ! C'est vraiment chic de te part, Parker, merci beaucoup. Je saurais où venir quand il pleut maintenant, ose-t-elle audacieusement avec un petit sourire en coin. Oh la petite effrontée ! Je veux bien un de ces succulents muffins dont tu as le secret ! La pluie m'a ouvert l'appétit. Ne t'inquiète pas, je paierais, il n'y a pas de soucis ! »

Elle préfère le préciser, parce que rien qu'à l'idée que Parker puisse s'imaginer qu'elle cherche à profiter de sa bonté, elle en rougit jusqu'aux oreilles. Comme pour se donner une contenance, elle continue de s'essuyer les bras avec sa serviette, avant de passer à ses cheveux ; pas trop de problèmes à ce niveau là, elle les a lissés ce matin, tant et si bien qu'ils n'ont pas vraiment réussi à se rebiffer avec l'humidité. Faut dire qu'elle avait toujours eu les cheveux particulièrement dociles (peut-être peut-on y voir là le reflet de sa propre personnalité ?) contrairement à la jeune Warner.

« Tu veux que je te brosse les cheveux ? J'ai toujours un peigne dans mon sac. propose-t-elle spontanément en plissant le nez, voyant bien que sa camarade n'est pas satisfaite de sa chevelure. Et j'ai une technique spéciale, ça ne fait jamais mal ! »

En vérité, elle n'avait essayé cette technique que sur elle-même et ses poupées, et si ces dernières ne s'étaient jamais plaintes on pouvait difficilement en déduire que la technique en question était infaillible.

En vérité, Lysander n'était vraiment pas le genre de fille qui pouvait prétendre être muette, elle adorait parler et avait toujours mille réflexions à faire sur un peu tout ce qui lui plaisait plus ou moins, ce qui englobait un très grand nombre de choses. Seulement, sa timidité, et surtout ses nombreux complexes, l'empêchaient de s'exprimer à tort et à travers, ce qui n'était pas complètement un mal. D'ailleurs, elle avait très nettement remarqué son handicap à ce niveau là, et faisait beaucoup d'efforts pour dépasser sa crainte de prendre la parole, car elle sentait bien qu'elle était plus agréable quand elle osait être elle-même, tout simplement, et il ne faut pas oublier que sa préoccupation number one a toujours été d'être la plus accommodante possible, qu'importe les sacrifices qu'elle devait faire pour y arriver.

« Tu marques un point, répond simplement la jeune fille. Ça ne me déplairait pas ! Mais tu risques de faire faillite si tu m'offres un chocolat à chaque fois... La prochaine fois, c'est moi qui t'en paie un ! » affirme-t-elle d'un ton catégorique, comme si elle comptait réellement lancer une nouvelle tradition. D'ailleurs, peut-être en avait-elle réellement l'intention.

Dans sa tête, ça réfléchissait à toute allure. Et si la prochaine fois qu'il pleut, elle venait offrir un chocolat chaud qu'elle aurait fait elle-même à Parker ? Ou peut-être ce thé si particulier, qu'elle aimait tant. Mais peut-être que Parker n'aimait pas le thé ? Oh, et elle pourrait lui faire des cookies ! Mais c'est idiot, quand on fait des cookies comme il les prépare ici, on n'a pas besoin de goûter ceux des autres... Et ça continuait comme ça dans sa petite tête. Y'avait même fort à parier que ça la travaillerait encore ce soir, juste avant qu'elle s'endorme. C'était plus fort qu'elle, elle adorait ce genre de petites attentions, les paniers cadeaux de confiseries et pâtisseries en tous genres et les cookies de remerciement, si elle était une Desperate Housewives, nul doute qu'elle serait Bree Van De Camp, en moins névrosée et psychotique, toutefois.

Lys acquiesce poliment pour toute réponse à l'ultimatum de Parker ; ça lui semble raisonnable. Quand elle lui propose ensuite de lui brosser les cheveux, elle ne capte absolument pas l'absurdité de sa demande. Dans le monde merveilleux de Lysander, il n'y a rien de plus logique que de brosser les cheveux de quasi-inconnues, et dans sa conception toute innocente des choses elle ne peut même pas envisager qu'il y a quelque chose d'incongru là dedans. Puis même, elle s'en fiche.

« Vrai de vrai. J'ai toujours voulu avoir une sœur à qui j'aurais pu brosser les cheveux, ou même un frère, je ne suis pas bien difficile ! Mais bon, on n'a pas toujours ce que l'on veut. J'ai eu une tête à coiffer Barbie, ça n'était pas si mal. »

Même si le fait que cette dernière ne possédait pas de corps en dessous des épaules avait longuement perturbé l'étudiante ; elle n'avait jamais voulu de tête à coiffer d'ailleurs. À l'époque, c'était un poney qu'elle voulait. C'était l'idéal : elle pouvait brosser ses crins ET monter dessus. L'équivalent d'une petite sœur, en somme. Mais ils étaient en rupture de stock, à ce qu'il paraît, alors ça avait été la tête à coiffer. Avec du recul, Lysander n'y croyait que très moyennement.

« Ça marche. » répète-t-elle en regardant amoureusement les deux grands verres royalement garnis ; holala elle en salive d'avance !

Désœuvrée, la jeune fille pose sa serviette sur une table près d'elle et se glisse ensuite doucement sur la banquette qui la borde, attendant sagement Parker en se mordillant légèrement la lèvre inférieure. Maintenant qu'elle y pense, les lieux sont quasiment déserts, si on les exclus toutes les deux ; quelque part, elle préfère ça comme ça, elle se sent plus à l'aise ! La foule la rend nerveuse. Et quand il s'agit de Lys, on peut parler de foule à partir du moment ou trois ou quatre personne se réunissent.

Au début, Lysander avait effectivement dans l'idée de payer à Parker son propre chocolat chaud, avant de réaliser que cela manquait probablement de politesse et que si elle voulait réellement la remercier, le meilleur moyen qu'elle avait de le faire c'était en faisant quelque chose de ses petites mains. L'argent, c'est si impersonnel ! Il n'y a rien de moins impoli que de payer quelqu'un. Brusquement, rien qu'à l'idée qu'elle ait pensé ne serait-ce qu'un quart de seconde offrir à la jeune Warner son propre chocolat, ses joues se teintent d'écarlate, très brièvement car elle se reprend vite en mains.

« Je considère que nous avons un deal alors. Mon chocolat ne sera certainement pas aussi bon que le tien, par contre, je te préviens de suite. »

Ça l'intimidait un peu, au fond, de faire goûter quelque chose qu'elle a préparé elle-même à une connaisseuse telle que Parker. C'est vrai, c'est son métier après tout. Lys, elle, est juste bonne à mettre un peu de Nesquick dans du lait chaud. Quelque part, elle se dit que c'est une bonne occasion pour apprendre à se faire un vrai chocolat, et son père sera une nouvelle fois ravi de jouer le cobaye de ses futures différentes recettes.

« Huum, peut-être. souffle-t-elle en réponse à l'allusion de Parker à son frère. Mais au moins je ne risquerais pas de me le recevoir en plein visage parce que j'aurais tiré trop fort sur ses cheveux... lâche-t-elle pensivement, avant de poursuivre, un peu plus rêveuse : Enfin, je suis sûre qu'il y a des tas d'autres avantages à avoir un frère... »

Puis les deux verres arrivent -Parker est avec eux d'ailleurs- et le petit minois de Lysander perd son expression nostalgique pour en arborer une plus gourmande. Elle s'empare avidement du verre que sa nouvelle amie (oui il suffit d'offrir une boisson chaude à la jeune fille pour devenir son amie, c'est plutôt simple) lui tend, et ses yeux se font tout émus et brillants quand elle réalise que c'est le mieux orné. Moeuh, c'est trop mignon ! Et, alors qu'elle s'apprête à porter son verre à ses lèvres, elle se retrouve interrompue par la question de la jeune Warner, qui la surprend tend et si bien qu'elle ne peut s'empêcher de lever les mains en s'exclamant :

« Oh mais oui ! Suis-je bête, comment ai-je pu oublier ? »

Elle expire un bon coup en remuant légèrement la tête, comme consternée par sa propre mémoire de poisson rouge.

« Ça me gêne un peu d'entrer dans le vif du sujet de la sorte mais... J'ai vraiment eu un coup de foudre pour les coquilles Saint-Jacques que vous servez ici, et je me demandais qui est-ce que je devais soudoyer pour obtenir quelques précieux conseils sur leur préparation ? » demande-t-elle malicieusement, et un peu timidement aussi ; elle ne veut pas avoir l'air d'une sale mégère qui cherche à piquer leur secret ! Mais ça la perturbe vraiment, elle a essayé des tas de manières différentes de les préparer, et rien n'y fait, elles ne sont pas aussi bonnes qu'ici. Alors quel est le truc ?

Lysander n'a, en réalité, aucun besoin que Parker lui énumère les différents et nombreux avantages que la présence d'un grand frère peut apporter, elle se les figure très bien toute seule ! Combien de fois avait-elle rêvé qu'un grand frère fort et puissant vienne à sa rescousse quand on l'embêtait dans la cour de récré, combien de fois avait-elle songé que la vie aurait été plus facile pour elle si elle avait eu un aîné qui eût tracé une voie devant elle, débroussaillant au passage tous les interdits dressés par les parents, émoussant leur résistance aux plaidoyers enfantins, et combien de fois avait-elle rêvé de ces taquineries purement fraternelles auxquelles elle n'avait jamais eu droit. Des trucs idiots, tout bêtes, comme la décoiffer au passage ou chantonner des « ouh la menteuse, elle est amoureuse », des gamineries, en somme. De gentilles gamineries. Au final, ce qui la faisait le plus fantasmer dans l'idée d'avoir un grand frère, c'était ce concept particulièrement stéréotypé qui s'illustrait à merveille dans les scènes les plus clichés des séries TV adolescentes, quand le grand-frère vient menacer le petit-ami de la petite-sœur, en lui expliquant que s'il brise le cœur de la sœur en question, il finira réduit en miette (ou une autre expression idiomatique du même acabit). Lysander n'aurait jamais ça. Et ça la rendait particulièrement triste. Triste, mais pas envieuse, néanmoins. Car l'envie est un des sept pêchés capitaux, et la jeune fille ne pouvait décemment pas accepter l'idée de déroger ainsi à ses principes.

Quand Parker annonce à Lysander que Chris serait mieux placé qu'elle pour répondre, l'étudiante ne peut s'empêcher d'avoir l'air dépitée, le temps de quelques secondes, avant qu'elle ne se reprenne en main et veille à arborer une expression faciale plus enjouée. Indécise, elle se pince les lèvres nerveusement avant de commenter, sur le ton de la confidence ;

« Oh... Je vois. Je préférais te poser la question à toi, tu m'intimides moins, je crois. »

Elle ne sait même pas pourquoi elle lui avoue cela, de but en blanc, non, vraiment, pour le coup, elle ne se comprend pas. En même temps, ce n'est pas comme si elle avait l'habitude de se comprendre. Ses yeux s'ouvrent ensuite en grand et elle prend un air très concentré quand la jeune Warner développe sa théorie au sujet des coquilles Saint-Jacques ; elle en prend bonne note ! La mention des épices magiques lui rappelle les Supernanas, mais elle se contente d'une pensée émue pour le dessin animée qui avait un peu marquée son enfance, et se retient de justesse de lâcher une réflexion à ce sujet.

« Hmm, oui, je vois. Des épices magiques, j'y penserais... Merci beaucoup ! »

Et en même temps qu'elle disait cela, elle imaginait trois Supernanas sortirent de sa marmite, ce qui lui arracha un sourire au passage. Ça serait drôle si ça lui arrivait, n'empêche ! Reprenant son sérieux, elle siffle deux-trois gorgées de son chocolat avant de relever la tête vers Parker. Tout en jouant nerveusement avec ses doigts, les croisant et les entrelaçant sans se lasser, jouant avec une de ses bagues en argent, elle se risque à oser la voix de nouveau :

« Et, hum, est-ce que je peux te poser une autre question ? Plus personnelle ? »

Le pouvoir des mots avait beaucoup d'emprise sur la jeune et candide Lysander Morrow, qui ne peut s'empêcher d'écarquiller légèrement les yeux en s'imaginant un Chris Warner tel que le dressait le portrait de Parker ; après un très contenu frémissement d'épaules, elle se reprend toutefois en main et son sourire recouvre sa timide gentillesse tandis qu'elle cueille une lampée de chantilly qu'elle porte à ses lèvres afin de retrouver un peu de sa contenance.

« Oh, c'est pas tellement une question de, humm 'impressionnant' ou non, je crois que tu m'impressionnes tout autant que lui, lâche-t-elle nerveusement, mais... c'est idiot... Les hommes m'ont toujours plus intimidée. Je... Bref. Rien. »

Et voilà qu'elle rougit comme une malade. On pourrait aisément cuire des œufs sur ses joues à l'heure qu'il est. En même temps, elle ne pouvait pas y déroger, elle s'était presque poussée à l'aveu en commençant par admettre qu'elle était intimidée par le frère de la jeune fille, et ça se devait de mal finir, obligé. Maintenant, elle se justifie, s'embourbe, et a presque envie de s'excuser, d'expliquer en long et en large que Parker n'est pas moins impressionnante, vraiment, et qu'il ne faut pas qu'elle se sente lésée ou vexée, parce que, vraiment, ça n'était pas dans l'intention de Lys. La pauvre est d'ailleurs complètement perdue, elle sent le cramoisi qui lui monte aux pommettes et ça la gêne encore plus ! Alors, elle plonge son regard dans son verre, ne sachant pas trop où se mettre, et ayant la vague impression qu'elle accorde bien trop d'importance à tout cela.

Pensivement, elle hoche la tête et n'a pas trop la tête à plaisanter au sujet des épices magiques, son esprit est trop encombré par ses envies de se taper très fort la tête contre un mur pour qu'elle songe à faire de l'humour et à y mettre la forme. Encore une fois, elle essaye de regagner un peu de son calme habituel, et effectue pour cela quelques exercices de respiration -en toute discrétion, ou du moins l'espère-t-elle- et finit par se passer une main dans les cheveux comme si c'était le signe qu'elle avait tout d'un coup retrouvé sa confiance en elle. Comme si elle l'avait déjà trouvé par le passé.

D'ailleurs le ton plaisantin de Parker la déride un peu, et un sourire naturel ose finalement pointer le bout de son nez.

« Non, ce n'est pas ça. Je garde ça pour quand on sera plus proches, ça serait très inconvenant de te poser la question à ce stade là de notre relation... » répond-t-elle sur le même ton.

Vient le moment fatidique ; elle se sent un peu idiote pour le coup. Mais ce n'est pas une première, et elle passe très facilement outre cette sensation.

« En fait, je me demandais... Ce n'est pas un peu... Étrange d'avoir son prénom qui rime avec son nom de famille ? Je veux dire, ce n'est pas un peu... Perturbant ? »

Bonjour, je m'appelle Lysander et je pose tout le temps des questions cons qui finissent par m'embarrasser, parce que j'ai tendance à oublier que je suis une névrosée complexée.

Non, vraiment, la dernière chose que Lysander aurait pu faire, c'est bien interroger Parker au sujet de son orientation sexuelle. C'est vrai que ça la perturbe un peu, et elle aurait sans doute des tas de questions à poser à ce sujet, mais elle trouve tout cela bien trop étrange et délicat pour aborder le sujet. Puis même si ce n'était pas le cas, par politesse elle n'en parlerait jamais la première, non, vraiment, ça serait inimaginable. Il y a encore plein de choses qui sont « tabous » pour la jeune fille, et discuter de l'orientation sexuelle de quelqu'un en fait partie. Ce n'est pas une question d'ouverture d'esprit, car elle accepte peut-être toutes les loufoqueries en la matière (tant que ce n'est pas, genre, criminel) et les comprend dans la mesure du possible, mais elle est bien trop prude pour supporter d'en entendre parler. Les quelques débats qu'elle avait eu avec son père à ce sujet l'avait presque tuée, et discuter de ce genre de chose avec sa mère était tout aussi gênant mais d'une autre manière, alors elle n'avait jamais eu vraiment qui que ce soit avec qui aborder le sujet à cœur ouvert, et maintenant elle en était incapable. C'était sans doute plus malsain, en vérité ; tous ses doutes, ses inquiétudes, ses interrogations à propos de certains principes moraux de base, elle les gardait enfouis au fond d'elle sans jamais oser les évoquer ou en parler avec qui que ce soit. Elle refoulait tout cela, et quand elle se retrouvait confronté à quelqu'un tel que Parker, elle faisait juste abstraction de ce genre de « complication » pour ne pas trop se perturber elle-même, et faisait comme si de rien n'était. Mais là n'est pas la question, puisqu'en réalité ce que Lysander souhaitait demander à la jeune Warner tournait beaucoup plus simplement autour de son nom.

Perplexe, Lys se demande si son interlocutrice trouve sa question idiote ou tout du moins pas vraiment pertinente (ce dont elle ne saurait vraiment lui tenir rigueur) et baisse légèrement les yeux quand elle éclate de rire, piquant un léger fard au passage. Oh, elle aurait du se taire ! Une nouvelle fois. C'est à croire qu'elle n'apprendrait jamais... ? L'air toujours un peu penaud, elle relève finalement les yeux et hoche la tête en guise de réponse, les mots restants coincés dans sa bouche, une fois n'est pas coutume.

Puis Parker finit par lui répondre, vraiment. Et d'un coup Lysander se sent de nouveau permise de respirer, alors elle en profite.

« Hmm, c'est vrai que 'Parker Brother', ça laisse à désirer. On ne te surnomme plus trop comme ça maintenant, si ? »

Elle lui retourne ensuite la question, ce à quoi la jeune Morrow ne s'attendait pas ; elle est plus habituée à faire sa curieuse que l'inverse. Pensive, elle s'humecte légèrement les lèvres en réfléchissant, avant de répondre :

« Hmm, je ne sais pas, j'aime bien, je crois. Puis Lysander, ça vient de Shakespeare, et de ma pièce favorite en plus, alors je ne me plains pas. Bon, c'est vrai que j'aurais préféré avoir un prénom de fille, sans doute, si j'avais pu choisir, précise-t-elle avec un petit sourire, mais dans l'ensemble je crois que mes parents auraient pu faire bien pire. »

Léger temps de pause, avant que, victime d'un éclair d'inspiration, la jeune fille ajoute :

« Et puis, on me surnomme souvent Lys, qui est le mot français pour Lily, une fleur que j'aime beaucoup, et je trouve ça... cool. » conclut-elle, très sérieuse.

Légèrement surprise par la réponse de Parker, Lys, qui avait jusque là le verre aux lèvres, cesse immédiatement de siroter son chocolat chaud et le pose un peu brusquement sur le rebord de la table. Les yeux écarquillés, elle s'exclame :

« Mais tu n'es pas grosse du tout ! »

C'est vrai, Parker était même plutôt mince, ou du moins bien fichue, dans son genre. Alors directement, comme ça, Lysander trouve ça complètement absurde qu'on puisse l'interpeller en utilisant un tel adjectif ; ça ne lui serait jamais venu à l'esprit à elle en tout cas.

« Enfin, c'est peut-être affectif ? Je m'y perds un peu dans les surnoms affectifs de nos jours. Je veux dire, parfois, dans la rue, j'entends des filles qui s'appellent entre elle 'ma petite pétasse' ou ce genre de choses, et, hum, je ne m'y habitue pas. Mais on m'a déjà fait comprendre que j'avais un mode de pensée légèrement archaïque alors... »

Cette confession faite, la jolie blonde baisse les yeux sur son verre, les lèvres pincées. Ça lui fait bizarre de prononcer des mots comme 'pétasse', c'est limite si ça ne lui brûle pas les lèvres. Elle ne comprend d'ailleurs vraiment pas la banalisation de ce genre de termes ; les gens se mettent à utiliser des insultes comme des petits surnoms amicaux, et elle ne capte vraiment pas ce qui peut les pousser à faire une telle chose ; elle, elle trouve toujours cela terriblement dégradant.

Quand ensuite elles abordent le sujet 'Shakespeare', Lysander ne peut qu'acquiescer (ce qu'elle fait, d'ailleurs).

« Je suis sur la même longueur d'onde que toi. Je trouve ses écrits magiques, et terriblement originaux, surtout quand on pense à l'époque à laquelle il les a écrits. Mais ça m'a un peu dégoûtée, la manière dont on les a décortiqués et disséqués en cours. Ça brise la magie. »

Dans sa tête, elle se repassait les cours de littérature qu'elle avait, entre autres, sur McBeth, et comment la prof l'avait saoulée avec sa versification, ses 'trochee', ses 'dactyl' et les 'iambic pentameter' tyôpique de Shakespeare. Pas besoin de décortiquer le rythme de ses vers pour se rendre compte qu'ils sont un délice à prononcer !

« Tu t'y connais beaucoup en filles françaises ? » interroge Lysander, amusée, avant de réaliser l’ambiguïté de ce genre de question. xD

Lysander se contente d'acquiescer aux propos de Parker quant aux étranges surnoms péjorativement affectifs que se donnent les jeunes de nos jours, on ne va pas non plus épiloguer là dessus, ce n'est pas comme si cela pouvait être sujet à débats. Et le silence de quelques secondes qui s'en suit permet à la jeune étudiante de se ré-attaquer à sa boisson dont elle vient peu à peu à bout ; elles abordent ensuite un thème plus littéraire et Lys, qui a toujours son verre aux lèvres, se borne une nouvelle fois à hocher du chef pour signaler son approbation.

Pour finir, elle repose son verre vide sur la table, l'air presque dépité, et se passe rapidement la langue sur les lèvres histoire de récolter les derniers atomes de chocolat qui avaient encore pu lui échapper. Intriguée par ses filles françaises que Parker a l'air de si bien connaître, elle penche légèrement la tête de côté en une moue interrogatrice et demande, curieuse :

« Est-ce qu'elles sont si différentes de nous, je veux dire, des filles américaines ? Est-ce qu'elles sont si «sophistiquées» qu'on le dit ? Est-ce que les français sont vraiment snobs ? »

La jeune Morrow n'avait jamais vraiment aimé la France ; elle devait pourtant bien reconnaître que c'était en grande partie dû aux préjugés qu'elle pouvait avoir quant à ce pays. C'est vrai, elle avait tendance à s'imaginer que tous les français étaient d'horribles prétentieux ne jugeant que sur les apparences et se prenant pour des intellectuels (car les quelques films français qu'elle avait pu voir l'avait aussi confortée dans cette impression) mais au fond qu'en savait-elle vraiment ?

« Bon, trêve de bavardage, passons aux choses sérieuses ! » s'exclame-t-elle soudain en joignant ses deux mains paume contre paume, produisant un léger « clap » au passage.

Sur ses mots, elle saisit son sac qu'elle pose sur ses genoux le temps de trouver l'objet dont elle a besoin : cette petite brosse pliable qui l'accompagne partout où elle va - c'était devenu une nécessité dès son plus jeune âge, quand tous les adultes qui la croisaient ressentaient ce besoin irrépressible de poser leur main dans ses cheveux et de la caresser/décoiffer en s'extasiant « qu'elle est mignonne ! » : elle ne s'était pas débarrassée de cette habitude depuis.

Contrairement à ce que Parker pouvait imaginer, Lysander était très loin de se moquer du regard des autres ; au contraire, elle en faisait presque une obsession. Ça l'inquiétait en permanence, ce qu'on pouvait penser d'elle, et surtout ce qu'on pouvait dire d'elle. Comme si elle avait le devoir d'être irréprochable. Alors systématiquement, elle se mettait la pression, faisait tout pour être parfaite, et échouait assez régulièrement. Car parfois elle réalisait qu'on ne pouvait trouver la perfection que sans chercher l'attendre. Et oui, c'est qu'elle a ses quarts d'heure philosophique la petite.

Quand Parker utilise le terme «délicieuse» pour qualifier les françaises, la jeune étudiante ne peut pas retenir un grand sourire amusé.

« Ah bon, tu les as goûtées ? » interroge-t-elle en rigolant.

Sans se douter une seule seconde de ce que tout cela peut signifier. Ce n'est pas que Lysander ignore ce qu'on dit au sujet des préférences "gustatives" de la jeune Warner, non, c'est juste sans doute que le sous-entendu est trop subtil pour elle, ou qu'elle n'entend tout simplement pas bien de cette oreille. Dans sa bulle de pureté, la jeune fille a légèrement tendance à faire abstraction de tout ce qui peut toucher de près ou de loin à la sexualité... Ce qui s'est déjà avéré comiques à quelques reprises par le passé.

Sa brosse en main, Lys penche la tête légèrement sur le côté, une expression compatissante se faisant peu à peu sa place sur son petit minois.

« Ne t'inquiète pas, ça ne va pas faire mal. Je le promets ! »

Pressée de pouvoir jouer avec sa nouvelle tête à coiffer plus vraie que nature, la jolie blonde se lève sa banquette pour rejoindre celle de Parker, en s'agenouillant dessus parallèlement à la table.

« Allez, tourne-toi ! » lui intime-t-elle de sa voix fluette.

C'est qu'elle serait presque autoritaire la petite.

Et Lysander l'entend. Elle met un certain temps à comprendre, toutefois, comme bien souvent. Un peu comme si la phrase de Parker était entrée dans son oreille, avait fait le tour de son corps en se perdant dans un orteil avant de terminer dans la partie du cerveau sensée décrypter tout ça, laquelle partie était en pause café à ce moment précis et au final Lysander ne comprend vraiment que quand son bout de cervelle reprend son activité normale. Vous m'avez suivie ? Si oui, chapeau bas. Si non, vous n'avez pas loupé grand chose, rassurez vous. Le résultat étant que, une dizaine de secondes après l'allusion de la jeune Warner, Lys ne trouve rien de mieux à répondre, après un léger éclat de rire cristallin :

« Je ne te savais pas cannibale. »

Jusqu'où peut aller sa nigauderie (sisi, ce mot existe), je vous le demande. Car l'étudiante ne capte toujours pas les sous-entendus pourtant sans équivoque soulevés par leur discussion, c'est d'ailleurs à peine si elle a conscience que tout cela n'est pas à prendre au sens littéral. Elle est trop obtuse d'esprit, sans doute. D'autres diront trop inexpérimentée, ou encore trop innocente.

Voir Parker mordiller nerveusement son pouce de la sorte la fait sourire ; elle a l'impression d'être un tyran, un être qui fait peur, c'est particulier comme sensation, elle n'y est pas habituée. Ce n'est pas déplaisant pour autant.

« Tant d'appréhension pour une brosse à cheveux ! Et moi qui te prenais pour une warrior. Je comprendrais que tu sois effrayée si je voulais te les couper à l'aide d'une lame affutée mais là... Ta maman ne t'a jamais brossé les cheveux ? »

Ah les mamans. Le sujet de conversation préféré de Lysander, avant-même les ratons-laveurs et les lapins, c'est pour dire. Précautionneusement, Lys s'empare de la tignasse de la jolie brune et fait doucement glisser des mèches de cheveux entre ses doigts, évaluant la difficulté de la tache qui était sienne. Mine de rien, ça allait pas être du gâteau. (a)

« Mais je n'ai pas oublié, ne t'inquiète pas va. Les promesses, c'est sacré. »

Délicatement, la jeune Morrow saisit une mèche de cheveux sur laquelle elle a porté son dévolu et, en la tenant fermement d'une main sans tirer dessus, elle entreprend de démêler les pointes avec prudence.