Devoir annoncer au doyen qu’on a planté sa voiture – involontairement bien sûr, car il sait à quel point elle tient à cette vieille voiture – puis se mettre à répéter en quatrième vitesse parce qu’il ne reste qu’une heure avant la représentation n’a pas été facile à faire. Mais Hunter a tenu à répéter, même dix petite minute. Après il a fallu aider tout le monde a monté l’intérieur du chapiteau et installer le sable pour les animaux. A cause d’elle, ils ont failli être en retard et même maintenant quand elle attend son tour dans les coulisses, elle ne peut s’empêcher de s’en vouloir. Les deux clowns de la troupe sont sur scène. Ayant discrètement écarté un pan du lourd rideau rouge en velours, elle les observe et rit avec les spectateurs. C’est rare récemment, de trouver des clowns vraiment drôles. Après les clowns, le doyen déguisé en Monsieur Loyal doit revenir et les occuper pendant que le seul technicien du groupe détend ses rubans. Cette fois-ci, c’est le thème du cygne blanc et du cygne noir. Le numéro vient d’être mis en place par ses bons soins et elle en est relativement fière. Mais elle a peur de ne pas s’être assez entraînée aujourd’hui. Non, la première représentation du numéro sera parfaite. Hors de question de se rater ce soir.

Pour l’occasion, elle s’est fait elle-même un costume. Une tenue de danse classique, le tutu en moins, divisée en deux parties de l’épaule gauche à la hanche droite. Un côté noir et l’autre blanc. De même pour son maquillage. Un œil blanc l’autre noir. Le numéro se termine, les clowns quittent la scène et le Monsieur Loyal entre en scène. Il la présente comme la jeunette de la troupe. Intérieurement, elle le remercie ironiquement et entre à sa suite. La lumière tombe, il n’y a plus qu’un spot sur les rubans. Elle s’y accroche et se laisse remonter par la machine. Et puis la musique démarre et elle se met enfin à danser. Pour rire un jour, lors d’une représentation en plein air durant laquelle les rubans étaient accrochés à une grue, on lui a dit qu’elle dansait dans les étoiles. Secrètement, elle adore cette expression. Le numéro se passe pour le mieux durant les deux premières minutes. Jusqu’au moment où elle lâche les rubans, et retombe rapidement vers le sol. D’ordinaire, elle devrait se rattraper avec les rubans enroulés autour des chevilles. Mais pas ce soir apparemment. Elle a dû rater un tour car elle perd totalement prise et s’écrase lourdement cinq mètres plus bas.

Heureusement, elle a le réflexe de tomber sur le côté et d’immédiatement rouler un peu plus loin. Mais le bras sur lequel elle s’est réceptionnée la lance affreusement. Les voltigeuses à cheval accourent dans la scène tandis que le doyen vient distraire le public. Elles l’attrapent doucement par le bras qui ne lui fait pas mal et l’aident à se relever. Très rapidement, elles l’accompagnent dehors. L’une d’elle a la trousse de secours dans la main. Pour l’instant, son bras est intact mais il la lance affreusement. Elle grimace, grommelant plus contre les rubans que contre elle-même. Elle se laisse faire tandis qu’une voltigeuse applique de la crème sur son bras. Elle va pour le bander mais une voix résonne et les fait toutes sursauter.

« Salut. »

Un garçon se tient devant elles. D’où sort-il ? Qui est-il ? Hunter fronce les sourcils mais ne répond rien. Croyant naïvement que c’est un de ses amis, les voltigeuses s’excusent et disparaissent en gloussant. Les idiotes. Hunter aimerait les suivre mais il semblerait que le garçon s’adresse à elle en particulier. Méfiante, elle ne répond pas jusqu’à ce qu’il continue.

« Je t'ai vue tout à l'heure, j'espère que ça va. »
« Oui ça va. Juste le bras. On se connaît ? »

C’est plus fort qu’elle, elle ne peut pas s’empêcher de se montrer sèche et distante. Mais ce type est sorti de nulle part pour lui demander si elle va bien. Elle ne le connait ni d’Eve ni d’Adam et débarque comme s’ils se connaissaient déjà alors qu’elle est persuadée ne l’avoir jamais vu.