Il s'était levé bien avant l'aurore. En fait, il n'avait pas vraiment dormi ; quatre ou cinq heures, pas plus. Ça lui avait suffit. Logan avait un rythme plutôt particulier. Il pouvait aussi bien dormir quatorze heures d'affilées que tenir une nuit blanche sans faiblir, et peut importe l'heure. Il dormait quand il était fatigué, c'était la seule règle qu'il respectait. Et cette nuit-là, il n'avait décidément pas sommeil. A 5h30, environ, il était déjà debout.

En faisant le moins de bruits possible, il se rendit dans la cuisine pour se préparer un café, et se faire griller des toasts. Il avala son petit-déj' en se disant qu'une cigarette serait la bienvenue, mais il n'avait pas envie de se geler en ouvrant la fenêtre. Il remonta ensuite s'habiller correctement — prendre une douche aurait fait trop de bruits, et aurait pu réveiller Alexander. Le canadien avait décidé de sortir, de prendre l'air. Mais avant de franchir la porte d'entrée, il marqua un temps d'arrêt avant de faire demi-tour et d'aller chercher quelques affaires pour dessiner ou peindre. En effet, le soleil allait bientôt se lever, donc James s'était dit que cela devait rendre bien sur le lac Michigan. Et puis, il n'y avait que peu de nuages ce matin, alors la vue sera dégagée.

Son choix se porta sur un bloc de papier pour aquarelle, quelques pinceaux et, logiquement, ses aquarelles. Un petit coffret en bois bien pratique. Logan n'avait pas la tête du type qui joue avec des couleurs pâles, mais fait est que pour un paysage, qui plus est un lever de soleil, l'aquarelle avait tout simplement un effet magique. Rangeant le tout dans son sac à dos, James prit le chemin du lac. Il en profita pour s'allumer une clope, tout en remontant son col pour contrer le froid.

Le moins que l'on puisse dire, c'était qu'à six heures et demie du matin, il n'y avait pas grand monde dans les rues de Great Falls. Et il y avait encore moins de monde sur les bords du lac. Logan choisit une petite bute en surplomb sur le lac pour s'installer, adossé à un arbre quelconque. Il faisait frais, c'était le cas de le dire, mais le canadien était habitué, et puis, on s'y faisait, après une demi-heure dehors.

Il sortit ses affaires et se remit dans le bain d'aquarelles en faisant de rapides point de vue ; le chemin par où il était arrivé, une aurore boréale sous un ciel étoilé... James s'en grilla une autre. A ce rythme-là, son paquet ne tiendrait pas la semaine. Il s'amusa ensuite avec sa fumée, un truc qui l'avait toujours fait marrer depuis qu'il avait commencé. Puis le soleil se décida enfin à faire son apparition. Sans perdre une seconde, puisqu'elles lui étaient comptées, Logan s'attela à ses couleurs.

Même après que l'astre diurne ait commencé son élévation, l'artiste — quel bien grand mot impliquant de bien grandes responsabilités — continua sa représentation du lac Michigan sous la palette d'un lever de soleil d'hiver. Autant dire que les bleus pâles y étaient déclinés à l'infini, avec quelques teintes plus foncées. Logan était toujours plongé dans son monde, sa cigarette se consumant avec paresse.

Si tu me cherches, je suis au lac partie prendre l'air – Talya. Elle déposa le papier sur son lit, et sortit de la chambre sans faire de bruit afin de ne pas risquer de reveiller toute la maison.Prendre l'air, c'était ce qu'elle faisait tous les jours. Et pourtant elle n'avait jamais l'impression d'en avoir assez. Il y avait toujours de nouvelles choses à faire dans cette petite ville, et c'était pour cela qu'elle passait tout son temps à vagabonder dans Great Falls. Qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, rien ne l'arrêtait. Elle avait passé tellement de temps enfermée chez elle, en Russie, à faire le ménage et la cuisine pour ses parents, que maintenant qu'elle était libre, elle était bien décidée à en profiter. Bien sûr qu'elle aurait aimé profité de cette liberté avec Jackson, mais il avait une vie, et ils ne pouvaient pas passer leur temps collés l'un à l'autre. Pourtant, elle ne pouvait cesser de penser à lui. Et encore plus maintenant qu'elle se rendait au lac, là où ils s'étaient tous les deux étendus pour regarder les étoiles ; ce qu'elle n'avait jamais pu faire chez elle auparavant.

Exceptionnellement, elle s'était donc levée à six heures, et, après avoir prit son petit déjeuner et s'être habillée, s'était discrètement eclipsé de la résidence des Lyndon où tout le monde dormait encore. Il était presque sept heures lorsqu'elle prit la route, à pieds, du lac. Le soleil commençait à se lever : son moment préféré de la journée. Les rues étaient vides, les boutiques fermées, les volets des appartements et résidences encore fermés. Comme si la ville toute entière dormait encore paisiblement. L'air était frais, mais ce n'était pas avec ses trois pulls et son gros manteau qu'elle risquait de ressentir le froid. Elle avait beau être frileuse, la vie en Russie l'avait tout de même rodée contre les températures trop basses. La tête cachée sous son bonnet et dans son écharpe, et les mains dans les poches, Talya marchait donc sur ce qu'elle pensait être la route pour le lac, si ses souvenirs ne la trompaient pas.

Elle finit par arriver devant ce petit chemin qui menait au lac, et elle sentit une vague de souvenirs remonter en elle. Jackson qui la porte comme un sac à patate, elle qui délire complètement.. la vue sur le derrière de son ami. Tout ces souvenirs parviennent à lui arracher un sourire, malgré qu'elle ne soit pas du tout réveillée et pas matinale du tout. Elle s'avança sur le chemin, jusqu'à arriver au bord du lac. Comme elle s'y attendait, il n'y avait personne. Personne pour admirer le beau spectacle qu'était le lever du soleil sur le lac. Personne, sauf une silhouette perdue sur une bute. Intriguée, elle s'approcha de cette silhouette, qui s'avéra finalement être un homme entrain de peindre le lac. Elle hésita entre satisfaire sa curiosité et aller le regarder travailler, ou bien faire comme si elle ne l'avait jamais vu et s'allonger dans l'herbe comme s'il n'était pas là. Mais sa curiosité était bien trop forte, c'est pourquoi elle décida de se rapprocher de l'inconnu, ne se souciant pas vraiment de comment il allait réagir face à cette approche. Arrivée à dans son dos, elle s'accroupit à côté du peintre pour montrer sa présence et ne pas lui faire peur.

C'est la première fois que je vois un aussi beau lever de soleil.., dit-elle d'une petite voix mal assurée, se rendant compte qu'elle était entrain de parler à quelqu'un qui était peut être le pire psychopathe de la ville. Et j'aime beaucoup ce que vous faites, termina-t-elle d'une voix sincère après avoir admiré l'oeuvre de l'inconnu.

Talya, ou l'art de parler à n'importe qui, n'importe où et à n'importe quelle heure.

La température ne dérangeait pas Logan, il avait connu bien pire dans les Rocheuses canadiennes. Ce qui le dérangea cependant, ce fut une voix féminine, quelque peu hésitante, qui le fit sursauter malgré tout. Tellement loin d'ici, il n'avait ni remarqué ni entendu que quelqu'un s'approchait. Une très court instant, ses réflexes faillirent le faire se relever vivement, mais il se retint en se souvenant qu'il n'était plus au Canada. Il gardait encore ces habitudes du temps où il devait toujours être sur ses gardes, mais depuis la petite semaine qu'il était là, il était moins tendu.

— C'est la première fois que je vois un aussi beau lever de soleil... Et j'aime beaucoup ce que vous faites, termina la voix après un instant de silence.

James jeta un coup d’œil à la jeune femme, pour s'apercevoir qu'elle était effectivement jeune. Elle n'avait pas la vingtaine, c'était sûr et certain, mais elle avait de très beaux yeux bleus. Une fois la surprise passée, le canadien tira sur sa clope et rejeta la fumée tout en observant son aquarelle. Il eût un léger sourire satisfait puis un autre, franc, en tournant la tête vers la demoiselle.

— Merci beaucoup, souffla-t-il.

C'était rare que les gens s'approchent de lui en général, et quand il était dans son monde, c'était pire. Ce qui était rare aussi, c'étaient les compliments spontanés comme celui-ci. James l'avait donc accueilli avec reconnaissance. Il rajouta quelques coups de pinceau, pour affirmer un trait de bleu ou faire pâlir un rayon de soleil. Reposant son outil, il fouilla un instant dans son sac et en sorti un stylo avec lequel il signa son œuvre, et, au dos, inscrivit la date et lieu.

— Voilà, fini, annonça-t-il même si ces mots n'avaient pas vraiment lieu d'être.

Il détailla une nouvelle fois sa représentation, puis orienta son regard sur la jeune inconnue. Il ne pensait pas rencontrer quelqu'un à une heure aussi matinale. Enfin matinale, en hiver en tout cas. Sans compter la température qui n'attirait pas les gens dehors. Bref. Il prit une nouvelle bouffée de cigarette, avant de rejeter la fumée plus loin.